Visite d’un chantier nécessaire et passionnant en Vieille-Ville.

On dirait un peu un tente de Bédouin suspendue à trois mètres du sol. De derrière un nuage de sable blanc, surgit un homme déguisé comme un touriste à dos de chameau. L’exotisme s’arrête là. Le bruit strident d’une disqueuse indique plutôt la présence d’un chantier de restauration. Nous sommes au 6, place de la Taconnerie, une adresse bretonnisante où l’on mange de la crêpe au rez-de-chaussée.

Cisaillé et découpé

Mais aussi où l’on boit des cafés en se prenant des morceaux de balcon dans la soucoupe.

Ca commençait à faire désordre, ces chutes de patrimoine qui s’invitent à l’heure du dessert. Le balcon a disparu, cisaillé et découpé avec le doigté de l’équarisseur de pierre. Du travail de professionnel. Des sculpteurs aimant le plein air, les façades à l’ancienne, les poses et déposes compliquées.

Ils s’appellent Vincent Du Bois (cheveux bouclés) et Olivier Scherly (coiffe sur la tête). On les écouterait des heures parler de leur boulot, malgré un méchant sirocco du nord balayant l’échafaudage; malgré cette échelle en bois qui donne davantage l’impression d’aller cueillir les cerises que des têtes taillées dans du grès du Mont-de-Sion. « D’habitude on ne restaure que des bouts. Ici, on intervient du début à la fin du chantier. C’est plus gratifiant: il y a plus de problèmes à résoudre, notamment au niveau de la statique », résume celui porte la particule paysanne. C’est que tout tient ensemble. Ce petit balcon de Juliette calviniste (60cm d’avancée seulement) s’appuie sur un triple élément sculptural qui le soutient. La clé de voûte fait console. L’un ne va pas sans l’autre.

Les trois têtes de Turc, avec leur turban mité et fissuré de partout, ont donc été retaillées à l’identique en atelier, dans des blocs de grès des Vosges, en respectant leur légère asymétrie, leur oeil loucheur et sartrien. A mi-parcours du chantier, il reste encore du travail. Les trois jours de relâche pascale ont servi à sécher les éléments scellés à la chaux à l’ancienne. Puis viendra le tour de la dalle du balcon. Une grue sera nécessaire pour hisser ces deux tonnes et demi de pierre le long de la façade, avant qu’elles ne soient prises dans les mâchoires des piliers. On aimerait presque pouvoir communiquer le jour et l’heure de ce spectacle à venir.

Thierry Mertenat

TRIBUNE DE GENEVE . 27 mars 2008