Une brigade de tailleurs et sculpteurs sur pierre a investi la façade et la toiture. Visite

Thierry Mertenat

Du Musée Ariana, on connaît surtout son architecture de palazzo privé, sa colonnade de marbres multicolores et, bien sûr, ses collections de porcelaine qui se visitent sur la pointe des pieds, d’un pas délicat et respectueux. Un chantier estival vient pourtant de s’ouvrir, qui n’a rien à voir avec tout cela. Il se déroule à l’extérieur, en façade, à 20 mètres du sol. D’abord une histoire d’échafaudage, compliqué à poser, en limitant le nombre d’ancrages au niveau de la balustrade, en s’interdisant de prendre appui sur le sol. Deux semaines d’installation à hauteur de toiture, à bâtir des escaliers, des trappes, des coursives éphémères entre bahuts et couronnements. Du travail de grand professionnel.

Oui, mais dans quel but? Celui de voler au secours des bêtes féroces qui, gueule ouverte, jouent les cariatides monumentales en dominant la ville. Deux paires de lions et de lionnes faisant façade séparée. Tête, crinière, buste et pattes avant. Les mâles regardent la Servette; les femelles, infidèles, lorgnent Lausanne. Elles attendront leur tour. Le roi des animaux est le premier à recevoir les nécessaires soins de restauration. Il est en moins bonne santé que ses frères du Cirque Knie.

Chutes de dents et silhouette ravinée. Les affres de l’âge – contemporain de la construction du musée, entre 187 et 1887 – aggravées par la pleine exposition aux intempéries (pluie, vent, soleil agressif). Le Lion part en morceaux. Pour dompter l’érosion de ce grès dur mais vieillissant, la Ville a engagé une brigade de tailleurs et sculpteurs sur pierre. On ne restaure pas ici sans remodeler les pièces dégradées, sans remettre les volumes d’origine. Du boulot de reconstitution fine assurée par les sculpteurs Vincent Du Bois et Pierre Buchs.

L’architecte Cindy Dulac-Lehmann assure le suivi, fixe les rendez-vous des différents corps de métier. Sur la terrasse palatiale, à l’ombre d’un dôme sublime, les experts se succèdent et livrent leur recommandations. L’affaire va bon train. De la sapine, on fait monter les matériaux plus robustes. « Des mètres cubes de pierre à remplacer. L’enveloppe budgétaire se monte à 350 000 francs », précise la répondante de la Ville. Avant d’ajouter: « La pose de l’échafaudage figure dans cette somme. Montage et démontage de plusieurs jours. Nous avons opté pour le procédé le moins invasif possible. »

Idem pour les quatre sculptures néoclassiques situées à chaque angle de la toiture. De beaux garçons aux cheveux et aux pieds très noirs. L’un d’eux vient de retrouver sa blancheur de marbre. L’autre est à la douche depuis bientôt une semaine. Au ponçage, on a préféré la technique dite de nébulisation. Un tuyau percé serpente le long du corps, de la tête aux orteils.

« Bondage » de la restauration, nuage d’eau, brumisation efficace. Les plaques et les lichens se ramollissent au contact de ce patient rinçage. Le résultat est en effet spectaculaire. En octobre prochain, le Musée Ariana sera encore plus beau.

Tribune de Genève . 5 mai 2012